Un site d’archéologie industrielle de plein air

A l’occasion de l’aménagement du sentier de découverte baptisé « sentier des Roches d’Orgères », l’équipe de « débroussailleurs volontaires » d’HIPAF a exploré, à proximité, une voie communale, en friche. Peu à peu, ce passage a été dégagé car il offre des vestiges significatifs de l’exploitation des carrières longeant les ruelles de Velars et du fonctionnement du moulin des Roches situé sur la rive droite opposée de l’Ouche. Cet endroit a été nommé le « chemin du moulin ».

Sur le côté gauche de cette voie, en direction de la rivière, se dressent trois pierres percées. Elles sont encastrées dans un muret de pierres sèches recouvertes de larges dalles rectangulaires. Longer cette construction permet de découvrir quatre autres pierres similaires (dont deux mal conservées) ainsi que de repérer la régularité de leur espacement (entre 3 et 4 m). En provenance certainement d’une carrière voisine (Sur les roches ?), ces éléments ont été taillés pour servir de poteaux de clôture (1,5 m de haut, 0,40 à 0,50 de large et 0,25 à 0,30 d’épaisseur). Chacun compte trois orifices triangulaires ou circulaires pour le passage de fils de fer d’une large section sans doute fabriqué aux forges de Velars qui comptait une filerie. Cette pratique remonterait aux débuts de l’ère industrielle, soit à partir de 1830 environ. Elle n’est pas spécifique à notre région ; elle a laissé de nombreux témoignages de ce type, notamment en Saône-et-Loire.

Lors des investigations conduites, pendant l’été 2009, en période de très basses eaux, deux meules de moulin ont été retrouvées, juste au bout de ce chemin communal. Elles ont été, depuis, déplacées et mises en valeur par le groupe HIPAF avec le concours précieux de Pascal Lignier. La première (diamètre 1,20 m, épaisseur 0,35 m), en calcaire, d’un poids évalué à environ une tonne, présente un trou central carré ou « œillard ». Elle est sans doute une meule verticale dite « tournante » (« courante » ou « volante ») car mobile au-dessus d’une meule horizontale « gisante » ou « dormante » d’un moulin à huile qui a existé sur le site du moulin des Roches.

La seconde meule (diamètre 1,55 m, épaisseur 0,18 à 0,20 m) à trou central circulaire est faite d’un grès très résistant. Elle présente huit cannelures creusées en surface. Ses deux encoches recevaient une pièce de bois ou anille qui la maintenait fixée et ses huit sillons rayonnants devaient attaquer les céréales et évacuer la farine au fur et à mesure. Elle constituait ce qu’on appelait la partie « travaillante ». Ce devait être aussi une meule tournante, habituellement placée à l’horizontale au-dessus d’une meule gisante dans un moulin à grains. Précisons que dans un moulin, les meules vont toujours par paire pour former un « tournant ». Mais manifestement, ces deux meules ne font pas la paire !

Par où les chariots chargés de matière première arrivaient-ils jusqu’au moulin des Roches ? Sans doute, pour une part par le chemin situé rive droite de la rivière mais, d’autre part, aussi en utilisant le gué que forme, sur une vingtaine de mètres, l’alignement rudimentaire de pierres placées en biais dans la rivière. Cet assemblage grossier, visible lorsque le niveau de l’eau baisse, offrait la possibilité, en dehors des périodes de crue, d’une jonction entre les deux rives. Par le passé, ces deux accès, de part et d’autre de l’Ouche, étaient face à face de chaque côté de la rivière comme l’indique le cadastre napoléonien de 1812.

Depuis le chemin du moulin, sur la gauche, on distingue d’autres traces d’archéologie industrielle : une levée de terre retenue par un mur de pierres et sept supports de rails formant une « voie étroite » de 0,60 m de largeur. Ces structures sont constituées d’un assemblage grossier de pierres et de ciment (1,50 m de long sur 0,70 m de large et entre 0,70 m à 1 m de haut). Elles mènent d’abord à une imposante pile de pont (3,75 m sur 0,90 m) érigée au-dessus d’un mur bien plus ancien juste au bord de l’eau puis au soubassement d’une seconde, de dimensions voisines, au milieu de la rivière. Cette installation présente des restes de sept poteaux en bois (12 cm de côté) qui devaient supporter un large tablier pour permettre aux rails de traverser le cours d’eau. Dans les années 1930, la pierre, venant des carrières en activité situées le long des ruelles de Velars était transportée par des wagonnets de l’autre côté de l’Ouche. Elle servait alors à alimenter un concasseur entraîné par la roue à aubes du moulin, celui-ci trouvant là sa dernière fonction. Il s’agissait de fournir, par péniches, de la pierre à chaux dite « pierre à sucre » aux sucreries d’Aiserey qui l’utilisait pour purifier le jus des betteraves. La chaux est obtenue par calcination, dans un « four à chaux », de pierres calcaires très pures, grâce à du coke. Puis elle est transformée en lait de chaux qui est mélangé au jus extrait des betteraves. La chaux précipite et entraîne les impuretés. Les sucreries d’Aiserey ont été créées, au bord du canal, en 1857 et elles ont fermé en 2007.

Les responsables du chantier ont ensuite consolidé les piliers, posé des rails sur des poutrelles métalliques ancrées dans la maçonnerie.

Il ne restait plus qu’à jucher sur ces rails un ancien wagonnet que notre association a pu retrouver, à Autun, auprès de Monsieur Ravet, collectionneur privé et puis deux autres bases de wagonnets.

L’endroit devenait alors un véritable site archéologique industriel de plein air.

HIPAF

Pour aller plus loin : Jean-Charles ALLAIN